“Le caractère nazi du parti grec Aube Dorée n’a pas été perçu comme il aurait dû l’être” – econostrum.info

Sélectionné à ce jour dans quinze festivals européens et déjà détenteur de six prix, le documentaire choc “Golden Dawn a public affair” (“Aube Dorée l’affaire de tous”) de la journaliste-réalisatrice franco-grecque Angélique Kourounis explique comment ce parti néo-nazi a failli conquérir le pouvoir avant de décliner.

Ce second opus après le film “Aube Dorée une affaire personnelle” (récompensé dans le monde entier) réalisé avec son complice le journaliste Thomas Iacobi (également présent dans cette nouvelle aventure), nous raconte avec des images fortes comment le parti d’extrême-droite est entré en force au Parlement, a pu exercer des pressions sur les opposants et les journalistes avec des moyens allant des insultes jusqu’à l’assassinat en passant par les violences. Comme celles subies par Thomas Iacobi tabassé alors qu’il couvrait une manifestation.

Dans un silence assourdissant de la classe politique, de la police et de la justice, ses membres ont pu impunément porter leur message de haine. Jusqu’à ce que ce mouvement, clamant son rejet de la démocratie et pratiquant le salut nazi, soit déclaré comme organisation criminelle par un tribunal et tout ses cadres arrêtés. econostrum.info soutient officiellement ce documentaire de ses deux correspondants en Grèce, véritable témoignage historique. Et leur donne la parole pour des réponses sans langue de bois qui n’épargnent personne, pas même les médias.

Angelique Kourounis livre un documentaire musclé qui permet de mieux comprendre l’ascension d’Aube Dorée (photo : DR)econostrum.info : Votre premier documentaire sur Aube Dorée montrait la fulgurante ascension de ce parti d’extrême droite en Grèce. Comment expliquez-vous le succès de ses idées ?

Angélique Kourounis et Thomas Iacobi : Aube Dorée était présente depuis de très longues années en Grèce sous la forme d’un groupuscule pesant moins de 2% des voix aux élections. La crise économique, qui a réduit d’un quart le PIB, mis 30% de la population sous le seuil de la pauvreté et en a exclu autant du système de santé, a été son engrais. La crise migratoire, débutée quasiment au même moment, l’a nourrie. Mais à notre sens, les deux raisons les plus importantes qui ont permis à Aube Dorée de rester la troisième force politique du pays pendant sept ans au Parlement reste le profond dégoût des Grecs pour les deux partis politiques Nouvelle Démocratie (conservateurs) et PASOK, (socialistes). Ils ont gouverné le pays, en alternance, durant ces soixante-dix dernières années et mené le pays au bord du gouffre. Ces partis n’avaient rien à offrir d’autre qu’encore plus d’austérité. Les Grecs ont donc voté pour un parti bénéficiant d’une grande visibilité et promettant “de foutre des baffes à ces vendus du Parlement“. Personne n’a jamais bien compris à quel point les Grecs avaient été humiliés.

L’autre raison c’est que le caractère nazi de cette formation n’a pas été perçu comme il aurait dû l’être, ni pointé du doigt par les média à l’époque, pendant les élections de 2012. Pas même l’Union européenne n’avait mise en garde contre un vote en faveur d’Aube Dorée. Une seule chose importait : que la Gauche radicale n’arrive pas au pouvoir. C’était la seule consigne de vote suggérée.

“Les Aubedoriens sont les descendants directs des collabos venus au pouvoir en 1946”

https://player.vimeo.com/video/560771007Quel a été le terreau de son expansion ?
A.K./T.I. : Aube Dorée a bénéficié du fait que les Grecs vomissaient leurs politiciens. Ils étaient agressés durant leur campagne électorale. Signe qui ne trompe pas, aucun meeting politique n’était organisé à ciel ouvert. Mais ce qui a fait progresser et fleurir Aube Dorée, c’est l’attitude criminelle de la plus grande partie de la presse. Aucune enquête n’est parue sur les membres de ce parti pour dire d’où ils venaient et quel était leur rapport avec les pogroms quotidiens. A l’époque, les cadres aubedoriens étaient invités sur les plateaux télé et personne ne leur demandait pourquoi ils avaient des croix gammées tatouées sur leurs bras. 
 Ceci nous amène à un autre problème important, dépassant largement les responsabilités dans l’ascension d’Aube Dorée : l’éducation a fait pratiquement l’impasse sur la Shoah et sur le passé collaborationniste du pays. Dans les écoles, les professeurs n’évoquent que la résistance. Réelle, étendue, elle a commencé très tôt, c’est vrai. Mais ,il existait aussi des collabos qui, en 1946, se sont retrouvés au pouvoir. Les Aubedoriens sont leurs descendants directs.
Aube Dorée a bénéficié durant longtemps d’une totale impunité que vous dénoncé. Était-ce par incompétence, insouciance ou incapacité à enrayer le phénomène de la part des pouvoirs successifs et/ou de la justice ?
A.K./T.I. : C’est un peu tout ça en même temps. Cependant, il faut se rappeler l’absence de catharsis en Grèce après la Seconde Guerre Mondiale. A la fin de la Guerre civile* (1946-1949), ceux ayant combattus les nazis avaient quatre choix: la prison, l’exécution, l’exil, ou l’oppression. Les collabos, eux, se sont retrouvés dans l’administration, la police, le système judiciaire, dans toutes les institutions du pays. Comme la Guerre civile n’est pas enseignée dans les écoles en Grèce, cela explique la clémence, la complaisance même des institutions grecques vis à vis d’Aube Dorée.

“Aube Dorée condamnée en tant qu’organisation criminelle”

Après "Aube Dorée une affaire personnelle", Thomas Iacobi a également participé à la mise en boîte du parti nazi dans ce second opus sur le parti d'extrême-droite (photo : DR)Après “Aube Dorée une affaire personnelle”, Thomas Iacobi a également participé à la mise en boîte du parti nazi dans ce second opus sur le parti d’extrême-droite (photo : DR)Comment a évolué la situation depuis votre premier documentaire “Aube Dorée une affaire personnelle” ?
A.K./T.I. : Il s’arrête à la campagne électorale de 2015 où l’on voit le Führer, comme il aime s’appeler, Nikos Michaloliakos, fondateur et “chef” d’Aube Dorée, être embrassé par une foule, et le début du procès en cours.Depuis, et c’est l’objet de notre second film qui a duré le temps de ce procès historique, Aube Dorée a été jugé et condamné en tant qu’organisation criminelle. Toute son équipe dirigeante s’est vu infliger des peines entre douze et presque quatorze ans de prison ferme. Ce procès, symboliquement, représente la première rupture de la Grèce avec son passé collaborationniste et dictatorial.

En 2021, les Grecs ont fait ce qui aurait du être fait en 1945 ou en 1974. Et si nous avons filmé pendant cinq ans et demi ce procès dans des conditions difficiles (NDLR : Thomas Iacobi a notamment été sauvagement agressé par des membres d’Aube Dorée), c’est qu’il nous a semblé beaucoup plus important que celui de Nuremberg lors duquel seuls les dignitaires nazis avaient été condamnés par un tribunal militaire, composé de juges majoritairement issus des alliés vainqueurs militairement de l’Allemagne nazie. Militairement, et pas politiquement. Là nous avons un tribunal civil, en temps de paix, jugeant un parti légalement élu pendant sept ans, dans le berceau de la démocratie qui plus est. C’est totalement différent. C’est du jamais vu. Car, juger un parti légalement élu, au cours de trois élections non entachées d’irrégularités, revient à pointer du doigt le dysfonctionnement de la démocratie.

Ce régime se révèle au final être un système politique très fragile. En Grèce, il n’est pas possible d’interdire un parti, ni de juger une idéologie. Aussi, dans ce procès, l’idéologie nazie a été appréhendée par la partie civile comme le mobile des meurtres. C’est un coup judiciaire magistral ! Il nous semblait inconcevable qu’il n’existe pas d’images d’archives, de documentaire sur ces moments historiques du pays. C’est pourquoi nous avons filmé sans relâche, sans savoir où cela allait nous mener. Au début, nous n’avions pas de moyens, mais les soutiens se sont trouvés au rendez vous. Nous avons d’ailleurs, particulièrement été émus par ceux qui mettaient régulièrement un, deux euros, ou cinq par mois dans notre cagnotte. Nous avons aussi bénéficié du soutien de l’Institut Rosa Luxemburg, dont le but n’est, justement, autre que mettre en exergue le fascisme et l’extrême droite rampante dans notre société.

“Magda Fyssas, mère du rappeur antifasciste assassiné, ne les a pas lâché d’une semelle”

Un procès a scellé la fin d'Aube Dorée en la jugeant comme organisation criminelle (photo extrait du documentaire "Aube Dorée l'affaire de tous")Un procès a scellé la fin d’Aube Dorée en la jugeant comme organisation criminelle (photo extrait du documentaire “Aube Dorée l’affaire de tous”)Comment analysez-vous l’échec de ce parti aux législatives en 2019 ?
A.K./T.I. : Deux éléments déterminants sont à retenir. D’abord, la bataille menée à l’intérieur et à l’extérieur de la salle d’audience par les avocats de la partie civile – qui, il faut le souligner, ont pratiquement travaillé bénévolement pendant ces cinq ans et demi – a commencé à porter ses fruits. Un public beaucoup plus large que les traditionnels partis de gauche, extra-parlementaires, ou les diverses associations militantes a commencé à réaliser ce qu’était Aube Dorée, quels étaient ses crimes et quel pouvait être le danger pour la démocratie. Mais surtout, ce qui a fait basculer la situation, c’est Magda Fyssas, mère du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas poignardé à mort par un cadre d’Aube Dorée qui a avoué. Elle venait tous les jours au procès. Elle ne les a pas lâché d’une semelle. Sans le vouloir, avec sa dignité, sa douleur, sa détermination, elle a fait honte à ceux qui ont voté Aube Dorée par dépit. Elle est devenu le symbole de la lutte antifasciste en Grèce et bien au delà. Elle a unifié toute la société civile et tous les partis d’opposition autour d’un seul but : mettre Aube Dorée hors d’état de nuire et ses dirigeants en prison. Ce n’était pas gagné d’avance…

Pendant des années la salle d’audience était vide. Il n’y avait qu’elle, des amis de la famille et les journalistes de quelques très rares journaux couvrant l’affaire. Ce n’est qu’en 2019, lors des dernières élections, que tout a basculé. Sous la pression de la rue et de la société civile, les mairies ont commencé à refuser de donner des autorisations pour l’ouverture de kiosques électoraux d’Aube Dorée pendant la campagne électorale. Les salariés de la télévision nationale se mettaient en grève chaque fois que les cadres de ce parti devaient parler pour leur campagne. Aube Dorée ne trouvait plus de lieux pour tenir ses réunions électorales, empêchant sa propagande de passer. Ce mouvement n’a pas eu, pour ce dernier scrutin, la visibilité dont il a bénéficié lors des deux précédents. De plus, peu après l’ouverture des poursuites judiciaires, le Parlement a gelé les subventions et revenus auxquels Aube Dorée, en tant que parti légalement élu, pouvait prétendre. Du coup, ceux qui en bénéficiait sont partis. Cela a affaibli d’autant cette organisation criminelle. Pour la faire courte: ce n’est que lorsque les institutions, sous la pression de la société civile, de plus en plus active, et d’une partie de la presse, ont activement pris les choses en main pour barrer la route à Aube Dorée que celle-ci a commencé à disparaitre du paysage politique.

“Aube Dorée n’aura pas de relève”

Le résultat des dernières élections législatives en juillet 2019 a-t-il marqué le début du déclin d’Aube Dorée ?
A.K./T.I. : Certainement ! Le résultat de ces élections a confirmé le déclin d’Aube Dorée débuté à peu près la quatrième année du procès, en 2018-2019. Elle n’a loupé l’entrée au Parlement qu’à quelques milliers de voix près, perdant ainsi les derniers avantages dont elle disposait comme parti légalement élu. Cela a certainement fait réfléchir les personnes qui votaient pour elle et espéraient en tirer des bénéfices directs à cause du clientélisme pratiqué. Ce mouvement ne pouvant plus rien leur offrir, ils sont retournés au parti conservateur qui a gagné le scrutin.
Le numéro deux d’Aube Dorée, Christos Pappas, vient d’être arrêté le 1er juillet 2021. Il était le seul cadre de ce parti à avoir échapper à la prison. Existe-t-il une relève ?
A.K./T.I. : Christos Pappas s’est échappé au nez et à la barbe de la police, censée le surveiller. Cela pose un véritable problème tant sur la compétence de la police à remplir cette mission que sur sa réelle volonté de le faire. Il faut se rappeler que dans les bureaux électoraux réservés aux forces anti-émeutes, Aube Dorée a obtenu presque 50% des votes. D’autre part, afin que l’enquête judiciaire sur l’assassinat de Pavlos Fyssas puisse être menée à terme, il a fallu, dès 2013, limoger des hauts cadres de la police qui y faisaient obstacle.

Aube Dorée, telle que nous la connaissons avec ses sections d’assaut, sa structure pyramidale et militaire n’aura pas de relève. En tout cas pas avant très longtemps. En revanche, la relève de l’extrême droite et du fascisme pourrait être assurée en Grèce et en Europe sans problème. C’est pourquoi, dans la deuxième partie de notre documentaire, nous abordons la question de la forme de la résistance à opposer à Aube Dorée et à toutes les Aubes Dorées du monde. Doit-elle être politique, judiciaire, armée, civile ?Est-ce que cela relève de l’éducation? De la religion?  Nous cherchons, mais nous n’avons pas encore trouvé la réponse…

“Les partis dits conventionnels de la droite libérale appliquent une politique d’extrême droite”

Vous ne craignez-vous donc pas un sursaut de l’extrême droite en Grèce ?
A.K./T.I. : Franchement, si danger il y a, il ne viendra pas d’un autre parti d’extrême droite, d’ailleurs présent au Parlement. Mais, plutôt de la banalisation des idées de l’extrême droite désormais totalement assimilées dans tous les domaines par les partis dits conventionnels, de droite libérale, ou socio-démocrates. Ils appliquent cette politique d’extrême droite sous le manteau de partis “très comme il faut”, tout comme Aube Dorée appliquait sa politique nazie sous le manteau d’un parti national-populaire. Les deux sont légalement élus.

Il faut quand même savoir qu’en Grèce, lors du dernier remaniement, les ministres issus directement de l’extrême droite, plus que proche de la dictature des colonels (1967-1974), ont tous pris du galon. Au moins quatre d’entre eux disposent désormais de portefeuilles clés. Cerise sur le gâteau, le ministre de l’investissement exerçait avant comme vendeur de livres à la télé et prônait la supériorité de la race et de la culture grecque. Ses discours se trouvaient parsemés d’allusions antisémites. Et tous sont d’accord pour appliquer sur la question migratoire une politique contraire à la Convention de Genève et à la Charte internationale des droits de l’Homme que la Grèce a pourtant signé. 

* Conflit armé de 1946 à 1949 opposant l’armée du Royaume de Grèce (soutenue par le Royaume-Uni et les Etats-Unis) à l’Armée démocratique de Grèce (branche armée du Parti communiste de Grèce soutenu par la Yougoslavie, la Bulgarie et l’Albanie) et gagné par les forces du gouvernement royaliste.

https://www.econostrum.info/Le-caractere-nazi-du-parti-grec-Aube-Doree-n-a-pas-ete-percu-comme-il-aurait-du-l-etre_a27492.html

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